Conflit kurde : après l’attentat d’Ankara, la Turquie intensifie ses frappes

24 octobre, 2024 / Entrevue

Les tensions montent en Turquie au lendemain d’un attentat meurtrier contre le siège des Industries de Défense, situé à une quarantaine de kilomètres au nord d’Ankara. Alors que les premières funérailles des victimes sont célébrées ce jeudi, l’armée turque poursuit ses frappes en représailles contre des positions du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en Syrie et en Irak.

Un attentat meurtrier secoue Ankara

L’attaque, survenue le 23 octobre 2024, a fait cinq morts et 22 blessés, dont le chauffeur de taxi, abattu par les assaillants, et les deux terroristes eux-mêmes. L’attentat a visé le siège des Industries aérospatiales turques (TAI) à Kahramankazan, un site hautement stratégique dans la région d’Ankara. Des images de vidéosurveillance montrent deux jeunes assaillants, une femme et un homme, armés de fusils d’assaut, attaquant brutalement les employés avant de pénétrer à l’intérieur du bâtiment. Le chauffeur de taxi, qu’ils ont tué pour voler son véhicule, figure parmi les victimes dont les funérailles ont lieu ce jeudi.

Le gouvernement turc n’a pas tardé à accuser le PKK, organisation considérée comme terroriste par Ankara, les États-Unis et l’Union européenne, d’être derrière cette attaque meurtrière. Bien que le PKK n’ait pas immédiatement revendiqué l’attentat, les autorités ont déclaré qu’il s’agissait du « principal suspect », compte tenu du mode opératoire et du contexte.

Riposte militaire immédiate

En réponse à cet acte de violence, l’armée turque a lancé une série de frappes aériennes massives contre des cibles du PKK en Syrie et dans le nord de l’Irak. Selon le ministère turc de la Défense, 32 cibles ont été détruites, notamment des caches d’armes, des postes de commandement et des camps d’entraînement. Les frappes devraient se poursuivre dans les prochains jours, dans le cadre d’une opération de représailles. Ankara a réaffirmé sa volonté de lutter sans relâche contre le PKK, qu’il accuse d’être responsable de milliers de morts dans le cadre du conflit kurde.

Cependant, les frappes de représailles ont déjà causé des pertes civiles. Les forces kurdes syriennes ont rapporté la mort de 12 civils, dont deux enfants, dans les régions du nord et de l’est de la Syrie. Ces zones sont souvent la cible des bombardements turcs, car elles abritent des bastions du PKK et de ses alliés locaux.

Un climat politique fragile

Cet attentat survient alors que des tentatives de dialogue entre le gouvernement turc et les responsables kurdes se multipliaient ces derniers mois. Abdullah Öcalan, le leader historique du PKK, emprisonné en isolement depuis 1999, a reçu pour la première fois en 43 mois une visite de sa famille le jour même de l’attaque. Son neveu, Ömer Öcalan, député du principal parti pro-kurde, le Dem (ex-HDP), a confirmé cette rencontre sur les réseaux sociaux, affirmant qu’Abdullah Öcalan était en bonne santé et qu’il avait exprimé sa volonté de transférer le conflit armé sur un terrain politique et juridique si les conditions le permettaient.

Abdulkadir Selvi, un éditorialiste du journal Hürriyet, proche du gouvernement, a rapporté qu’Abdullah Öcalan s’est dit prêt à envisager un dépôt des armes. Une telle déclaration pourrait marquer un tournant dans le conflit vieux de plusieurs décennies, mais la reprise des hostilités suite à l’attentat d’Ankara risque de compliquer ce processus.

Dans une déclaration étonnante, Devlet Bahçeli, président du MHP (parti nationaliste) et allié clé du président Recep Tayyip Erdogan, a proposé qu’Abdullah Öcalan puisse s’adresser au Parlement pour annoncer publiquement la dissolution du PKK et son renoncement au terrorisme. Une proposition qui divise l’opinion publique et qui n’a pour l’instant reçu aucune réponse officielle.

Les implications géopolitiques

Le président Erdogan, qui se trouvait en Russie pour rencontrer Vladimir Poutine lors de l’attaque, a dû gérer la situation à distance. Après avoir assisté à un sommet des BRICS, il doit regagner Ankara pour superviser la suite des opérations militaires. La riposte turque intervient également dans un contexte régional tendu, où la Turquie se trouve en désaccord avec plusieurs puissances internationales, notamment sur la question syrienne.

L’attentat et les représailles turques risquent également d’aggraver les tensions entre la Turquie et les forces kurdes syriennes, qui sont soutenues par les États-Unis dans la lutte contre l’État islamique, mais considérées comme des extensions du PKK par Ankara. Ce dernier conflit met une nouvelle fois en lumière les fragilités de l’équilibre géopolitique dans la région.

Vers une reprise du dialogue ?

Malgré cette nouvelle escalade de violence, certaines voix appellent à la reprise du dialogue entre Ankara et les représentants kurdes. Le Dem, troisième force politique du pays, a souligné le caractère symbolique de l’attentat, survenu alors que la société turque commençait à discuter de nouvelles pistes pour rétablir un processus de paix. Öcalan, surnommé « Apo » par ses partisans, avait déjà appelé au dialogue et au cessez-le-feu à plusieurs reprises, notamment en 2012 et 2013, mais ces efforts avaient échoué après la reprise des hostilités en 2015.

Alors que les forces turques et kurdes s’affrontent sur le terrain militaire, il reste à voir si les signaux politiques envoyés par les différents acteurs seront suffisants pour relancer un processus de paix durable.

L’attaque de Kahramankazan, tout en relançant les combats, ravive également des questions profondes sur la manière de résoudre un conflit qui a coûté des dizaines de milliers de vies et marqué la Turquie pendant plus de quatre décennies.