Dans un entretien accordé à La Tribune Dimanche, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, exprime son inquiétude face à l’accélération des plans sociaux et des fermetures d’entreprises en France. Alors que des géants tels qu’Auchan et Michelin annoncent des suppressions massives de postes, Binet souligne que la CGT alerte depuis plusieurs mois sur cette tendance préoccupante.
Une crise industrielle imminente
« La liste des plans sociaux ne cesse de croître », déclare Sophie Binet, mentionnant que les 180 plans sociaux recensés il y a quelques mois frôlent désormais les 200. Selon elle, tous les secteurs sont touchés, de l’automobile à la chimie en passant par la banque. « Chaque jour, de nouvelles annonces tombent. Le chômage est inévitable. Nous estimons que plus de 150 000 emplois vont disparaître, et probablement bien plus », ajoute-t-elle, en évoquant les conséquences en chaîne sur les sous-traitants. Pour Binet, la France est au début d’une « violente saignée industrielle », un processus alimenté par une stratégie systématique de maximisation des profits.
Sophie Binet critique sévèrement les choix des entreprises, notamment dans le secteur de l’automobile, où les constructeurs privilégient des véhicules électriques très chers, rejetant la possibilité de produire des modèles plus accessibles. « Les mêmes entreprises qui refusent d’augmenter les salaires, ce qui entraîne une chute de la demande », explique-t-elle. Cette spirale prix/profits, selon la secrétaire générale de la CGT, contribue à la baisse d’activité et aux licenciements.
Elle met également en lumière le paradoxe des grandes entreprises qui, tout en réalisant des bénéfices record et en versant des dividendes importants à leurs actionnaires, ferment des sites. Sophie Binet cite Michelin, qui distribue chaque année un milliard d’euros de dividendes tout en procédant à des fermetures. Cette situation, selon elle, est le reflet du « naufrage de la politique de l’offre » du gouvernement Macron, qui favorise les multinationales et les fonds d’investissement au détriment de l’emploi.
L’aide aux entreprises : un système à revoir
Alors que Michel Barnier, le ministre des Affaires européennes, annonce vouloir demander des comptes aux entreprises ayant bénéficié des aides publiques, Sophie Binet estime qu’il serait plus judicieux de conditionner ces aides avant leur attribution. Elle propose que des avis conformes des représentants du personnel soient requis avant toute aide publique, afin de garantir que les entreprises ne reçoivent pas d’argent si elles licencient massivement. « Ces aides, telles qu’elles sont données aujourd’hui, sont des chèques en blanc », regrette Binet.
Elle appelle également à un moratoire sur les licenciements, notamment dans le cadre de l’outil industriel français. « La politique industrielle de la France doit changer. Ce ne sont pas des aides aux entreprises, captées par les plus grandes, qui vont sauver l’industrie. Il faut une vraie politique industrielle », insiste-t-elle.
Face à l’accélération des fermetures d’usines et aux suppressions massives de postes, Sophie Binet plaide pour un moratoire sur les licenciements. Elle évoque l’exemple de l’Allemagne, qui a suspendu les licenciements pendant la crise de 2008-2009, et de la France, qui a pris des mesures similaires durant la crise du Covid-19. Selon elle, ces mesures permettent d’ouvrir un espace de réflexion pour trouver des solutions alternatives, comme la reconversion des sites ou la recherche de repreneurs. « La CGT a des projets de reconversion pour certains sites, mais nous ne sommes pas entendus », déplore-t-elle.
Sophie Binet aborde également les négociations en cours sur l’emploi des seniors dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage. « Les seniors sont toujours les premiers à être impactés par les licenciements », constate-t-elle. Elle s’inquiète des régressions possibles concernant les droits des privés d’emploi, surtout en période de crise. Elle insiste sur la nécessité de renforcer les protections, notamment à travers des dispositifs de sécurité sociale professionnelle et environnementale, ainsi que des transitions collectives mutualisées à l’échelle des branches.
La situation budgétaire : une conséquence des choix politiques
Enfin, Sophie Binet dénonce la politique budgétaire du gouvernement, qui, selon elle, continue de privilégier les plus grandes entreprises et les plus riches au détriment des travailleurs. « La dette a été alimentée par la politique de l’offre au service des grandes entreprises, il n’est pas question de demander au monde du travail de payer la facture », explique-t-elle. Elle critique également les économies imposées aux collectivités territoriales, qui risquent de se traduire par des investissements publics en moins et une diminution des dépenses sociales, aggravant ainsi la situation des plus vulnérables.
Dans un contexte où les crises économiques et sociales se multiplient, Sophie Binet appelle à une véritable prise de conscience et à un changement radical de politique économique.