Avec Vielleicht (Peut-être en allemand), Cédric Djedje plonge au cœur de l’ignorance persistante entourant le passé colonial de l’Allemagne. Présentée cette semaine dans le cadre du festival Impatience au Centquatre-Paris, cette performance interroge la mémoire collective à travers la bataille menée par des militants afro-allemands pour débaptiser des rues de Berlin portant les noms de figures coloniales. Ce spectacle hybride mêle documentaire, fiction et performance, tissant un dialogue intime et politique sur l’héritage colonial et les processus de restitution.
Dévoiler l’histoire occultée d’un quartier berlinois
Le Afrikanisches Viertel de Berlin, ou « quartier africain », est au centre de ce projet. Contrairement aux quartiers éponymes de Paris ou Londres, il n’est pas défini par une forte population africaine, mais par des rues nommées en hommage à des figures controversées du colonialisme allemand, comme Adolf Lüderitz, Gustav Nachtigal ou Carl Peters. Ces noms évoquent un passé marqué par le pillage, la violence et le génocide des Hereros et des Namas en Namibie entre 1904 et 1908, le premier génocide du XXe siècle.
Cédric Djedje, artiste d’origine franco-ivoirienne, s’approprie cette histoire souvent ignorée, même en Allemagne. Il s’interroge : comment ces noms façonnent-ils la mémoire urbaine et collective, et comment les luttes pour les renommer traduisent-elles la persistance de l’empreinte coloniale ?
Une exploration intime et politique
Sur scène, Djedje et sa partenaire Safi Martin Yé naviguent entre récits personnels et témoignages d’activistes. Une structure en bois en forme de continent européen, un monticule de terre et des projections audiovisuelles servent de toile de fond à leur narration. Loin de simplement dénoncer, Vielleicht met en lumière l’impact émotionnel et humain de quarante années de luttes pour obtenir un simple changement de nom.
L’artiste ne se contente pas de réexaminer le passé colonial : il interroge les récits dominants et propose un langage alternatif. Inspiré par des figures comme Marianne Ballé Moudoumbou, il adopte le terme Maafa (« grande destruction ») pour désigner les horreurs de l’ère coloniale, évitant le mot « colonialisme », jugé trop neutre.
Au-delà du théâtre, Vielleicht se veut un outil de réflexion et de transformation. La pièce se termine par la présentation d’un kanga, tissu traditionnel tanzanien porteur de messages, symbolisant l’idée que des efforts collectifs peuvent défier et redéfinir les récits historiques. En s’adaptant à chaque lieu où elle est jouée, l’œuvre intègre des militants locaux pour ancrer ses questions dans des contextes spécifiques, en Suisse, en France ou en Allemagne.