Caterina Murino, Thierry Harcourt, Sarah Biasini, Tom Leeb… : Casting de choix pour La Veuve rusée aux Bouffes Parisiens

23 septembre, 2024 / Laurène Thierry

Laurène Thierry, comédienne et chroniqueuse culture, vous plonge au cœur des spectacles les plus en vogue de la capitale et à travers toute la France. Pour Entrevue, elle explore le monde du théâtre et vous fait découvrir des artistes et des récits captivants.

Rosaura, une jeune et belle veuve vénitienne, est assaillie par quatre prétendants bien différents : qui du français, de l’anglais, de l’italien ou du castillan réussira à obtenir sa main ? Rosaura devra faire preuve de ruse pour réussir à naviguer entre les flots d’avances et trouver le meilleur parti. L’intrigue, savamment orchestrée par Carlo Goldoni, dramaturge italien du XVIIIe siècle, s’épanouit en trois temps : les hommes lui rendent visite, puis ils rivalisent de générosité en lui offrant toutes sortes de présents, avant que Rosaura, sous un masque, leur tende habilement des pièges pour juger de la sincérité de leurs sentiments.

Bas les masques à Venise

Dans La Veuve rusée, Goldoni utilise l’atmosphère du carnaval vénitien, empreinte de mystère, pour permettre aux personnages d’échapper à la monotonie de leur existence et de vivre, dans l’exaltation de la fête, un instant privilégié où le renversement de l’ordre social est possible. La mise en scène de Giancarlo Marinelli reste fidèle à cette idée. L’ambiance festive de la pièce qui ne faiblit à aucun moment permet de révéler avec beaucoup de justesse l’ambition du texte. C’est dans le rire, dans l’exubérance et à travers des personnages hauts en couleur que le théâtre des caractères de Goldoni s’épanouit. Entre l’italien jaloux, le français coquet, l’espagnol impétueux et l’anglais laconique, le contraste des personnalités est effectivement saisissant.

Les quatre prétendants se disputent les faveurs d’une femme chacun à sa manière, selon les stéréotypes nationaux qui sont assumés par les comédiens, et qui pimentent les intrigues amoureuses parallèles. Ainsi, quand l’anglais souhaite se distinguer par son flegme et son étiquette, le castillan s’enorgueillit de léguer à la belle sa lignée de sang royal, ce que le français ne peut comprendre, trop occupé à badiner tandis que l’italien fulmine de jalousie devant ses rivaux. Les acteurs, respectivement Thierry Harcourt, Vincent Deniard, Vincent Desagnat, et Pierre Rochefort, assument avec brio ces archétypes universels sans forcément reproduire l’accent d’origine de leur personnage. Citons également Tom Leeb dans la peau d’Arlequin, qui joue les entremetteurs malgré lui, et qui apporte une touche de malice et de légèreté très juste à cette tourmente amoureuse. Bien que l’intrigue redondante de Goldoni enchaîne les entrevues galantes, pouvant fatiguer l’intérêt du spectateur, leur jeu d’acteur parvient à capter notre attention.

La comédie de l’ambition féminine

Dans un contexte où la condition de la femme est le plus souvent réglée sans son assentiment, Goldoni lui redonne une voix, la plaçant au centre de son œuvre. Dans La Veuve Rusée en particulier, il la voit comme un être sensible mais aussi plus rationnel que ces quatre hommes guidés par le plaisir et la vanité. Décidée à se remarier, la jeune femme ne va pas choisir son futur mari avec légèreté. Elle souhaite s’assurer de sa sincérité et de sa stabilité. Pour cela, Rosaura a besoin de preuves qu’elle obtiendra grâce à un stratagème typiquement vénitien, concluant à la fin de la pièce : “Je suis donc enfin venue à bout de mes desseins”. 

Cette quête d’émancipation féminine est soulignée par les choix de mise en scène de Giancarlo Marinelli. Des personnages masculins partie prenante dans le destin marital de Rosaura ont été écartés de la pièce, tels que le Docteur Lombard, le père de Rosaura, complètement absent, et Pantalon, son beau-père, uniquement présent en voix off à deux reprises, diminuant ainsi son importance et son autorité dans l’intrigue. Ces absences mettent en lumière Rosaura qui opère seule, quasiment sans l’influence de quiconque, et encore moins d’un père un peu trop insistant, topos des pièces de Molière, dont Goldoni s’inspire.

Derrière le rire, une réflexion sur les sentiments amoureux

Goldoni ne se contente pas de livrer des intrigues légères ; il aborde également des thèmes profonds comme l’amour, la jalousie, et les relations humaines. Une mise en scène négligeant ces émotions risquerait de réduire les personnages à de simples marionnettes. Giancarlo Marinelli les a bien identifiées et a pris le parti d’accompagner les scènes d’introspection des personnages, de tension ou de passion par des nappes de musique à la manière du cinéma. Il exprime ainsi les émotions sous-jacentes aux dialogues de manière originale pour le théâtre. Mais ce procédé ne saurait remplacer l’importance de la connexion entre les comédiens qui, à elle seule, devrait pouvoir rendre palpable les tensions entre les personnages.

Découvrez La Veuve rusée, comédie emblématique de Carlo Goldoni, adaptée et mise en scène par Giancarlo Marinelli aux Bouffes Parisiens du 10 septembre au 24 novembre 2024.

Laurène Thierry