Après Sciences Po, les grandes écoles sous surveillance
L’affaire a fait la Une au mois de mars. Sciences Po Paris au cœur d’une polémique après une mobilisation pro-palestinienne au sein de son établissement. L’affaire s’est même invitée en Conseil des ministres, mentionnée par Emmanuel Macron lui-même. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) avait alors affirmé que des jeunes appartenant à l’association avaient été « pris à partie comme juifs et sionistes » lors de cette occupation d’un amphithéâtre.
Ce mardi matin-là, une centaine d’étudiants investissent l’amphithéâtre principal de Sciences Po Paris, dans le cadre d’une « journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine ». Une étudiante membre l’Union des étudiants juifs de France a alors « été empêchée d’accéder à l’amphithéâtre » où se tenait l’action, et « des propos accusatoires ont été prononcés à l’encontre » de l’association étudiante.
Face à cette situation discriminatoire, voire violente, le gouvernement a fait sentir sa fermeté sur le sujet. Afin d’éviter des dérives. Mais ce type de mobilisation pourrait-il faire boule de neige ? Et se dérouler ailleurs, dans d’autres campus ? L’ombre d’autres pays se fait-il sentir jusque-là ? HEC a par exemple noué un lien fort avec le Qatar, s’installant à Doha via la Qatar Foundation dès 2010.
Entrevue a pu entrer en contact avec HEC Paris, qui ne souhaite « pas apporter de commentaire sur le sujet » des manifestations pro-Palestine. Pour autant, avec la forme de financement actuel des grandes écoles, via des sociétés, des fonds d’investissement ou même des États, un risque de collusion existe-il ? Des pressions peuvent-elles s’exercer pour rogner leur indépendance ?
« HEC Paris est très majoritairement financée par les frais de scolarité en provenance des programmes pré expérience, des programmes MBAs et de formation continue », précise la prestigieuse école. « Elle bénéficie en outre du support de donateurs via la Fondation HEC et de subventions qui permettent d’innover pour des projets à vocation sociale (bourses), académiques (recherche) ou à impact comme par exemple dans l’entrepreneuriat social. »
Quid du Qatar, médiateur incontournable du conflit Israël-Palestine, qui joue un rôle actif auprès de l’Occident mais en liens étroits avec le Hamas ? Son softpower actif met les autorités françaises sur leurs gardes. De la même manière, la France lutte contre le financement opaque des mosquées, derrière quoi se cacherait l’influence des Frères Musulmans, bien implantés au Qatar.
Les problèmes n’arrivent pas qu’aux autres. Et bien souvent, ce qui se déroule aux Etats-Unis arrive ensuite en France. Outre Atlantique, l’Université de Berkeley (Californie) est un « haut lieu du militantisme », comme le disait Le Monde en octobre 2023. Les violents actes antisémites n’ont jamais été aussi nombreux qu’actuellement.
Sur la côte est des Etats-Unis, à Harvard, début janvier, c’est Claudine Gay, la présidente de l’université, qui annonce sa démission. Elle était vivement critiquée depuis une audition au Congrès, où elle n’avait pas condamné clairement des appels au génocide des juifs. La lutte contre l’antisémitisme sur les campus est un combat permanent. Les associations juives s’inquiètent plus que jamais de la situation. Car derrière le financement de Harvard, on retrouve le Qatar et l’Arabie Saoudite, pour près de 11 millions de dollars de dons en 2022 et 2023. Double jeu ? Situations à clarifier.
Là-bas, certains pays du Moyen Orient s’affichent parmi les principaux donateurs des grandes écoles depuis une dizaine d’années. Dans le dernier rapport du Ministère de l’Éducation américain (octobre 2023), le montant total des dons aux universités, venant du Qatar, de l’Arabie Saoudite et d’autres pays de la région est de 2,2 milliards de dollars. Colossal. Faut-il y voir un lien du jeu qatari ambigu ou est-ce un « simple softpower » à surveiller ?
HEC peut-elle ignorer toutes ces luttes d’influence ? « Pas de risque » nous répond-on : « La zone des pays du GCC (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) représente autour de 8% du budget d’HEC. Nous sommes une école à but non lucratif. Au Qatar, nous travaillons en partenariat avec la Qatar Foundation, qui finance notamment nos locaux, comme ceux des autres grandes universités américaines, présentes au sein d’Education City. Les frais de scolarité sont les mêmes que ceux de Paris. »
Mais vu la situation géopolitique actuelle, les grandes écoles vont-elles devoir faire preuve de toujours plus de prudence face aux influences extérieures ? « HEC Paris est une institution indépendante juridiquement », rappelle l’école. « C’est un “établissement d’enseignement supérieur consulaire”. La Qatar Foundation n’est en aucun cas impliquée dans cette gouvernance. »
Rassurante, la direction d’HEC se veut même un acteur du changement au Qatar. « Nous contribuons à la dynamique d’ouverture et de progrès de la région du Golfe, à commencer par celle du Qatar, qui a d’immenses challenges à relever pour passer d’une économie de l’extraction à une économie de la connaissance. Cette transition est et sera réalisée par la génération que nous formons sur place depuis plus de dix ans. »