Il y a un demi-siècle, le 10 janvier 1975, Apostrophes voyait le jour sur Antenne 2, une émission qui allait redéfinir le paysage culturel télévisuel français. Animée par Bernard Pivot, la série hebdomadaire consacrée à la littérature s’est rapidement imposée comme une institution incontournable, rassemblant jusqu’à six millions de téléspectateurs. Mais Apostrophes, ce n’était pas seulement des discussions sur les livres ; c’était un espace où des idées, des émotions et des débats parfois vifs prenaient vie. Pivot, avec son sens de la formule et sa curiosité contagieuse, ouvrait la porte à des conversations riches, dépassant souvent la simple critique littéraire.
Moments d’anthologie et polémiques mémorables
En quinze ans d’existence, Apostrophes a marqué les esprits par ses séquences cultes, entre échanges passionnés et incidents inoubliables. Parmi les temps forts, la confrontation entre Denise Bombardier et Gabriel Matzneff en 1990 reste emblématique : la journaliste dénonça avec fermeté les propos de l’écrivain, provoquant une onde de choc dans le monde littéraire. De même, l’apparition de Charles Bukowski, visiblement ivre en 1978, a donné lieu à un moment chaotique où François Cavanna lâcha un célèbre « Ta gueule, Bukowski ! ».
L’émission était aussi un théâtre pour des rencontres improbables. Georges Simenon se dévoilait intimement en parlant du suicide de sa fille, tandis que Georges Brassens expliquait son antimilitarisme au côté du général Bigeard. Les tensions entre intellectuels, comme celle entre Pierre Bourdieu et Pierre Perret, enrichissaient encore les discussions, offrant au public un spectacle captivant où la littérature croisait les grands débats de société.
Top 5 des moments les plus marquants
- L’interview exclusive d’Alexandre Soljenitsyne (1975)
Depuis sa propriété aux États-Unis, l’écrivain russe évoque la genèse de son œuvre au goulag, dans une séquence sobre mais bouleversante. - Charles Bukowski quitte le plateau (1978)
Visiblement éméché, l’auteur provoque un chaos mémorable, marqué par des échanges vifs et son départ précipité. - Denise Bombardier face à Gabriel Matzneff (1990)
Un face-à-face tendu où Bombardier dénonce sans détour les écrits controversés de l’écrivain. - Georges Brassens et le général Bigeard (1975)
Une discussion improbable entre l’auteur-compositeur antimilitariste et l’homme d’un univers aux valeurs opposées. - Marguerite Duras et « L’Amant » (1984)
Une émission spéciale où Duras livre des réflexions puissantes sur son écriture, peu avant de remporter le prix Goncourt.
Un héritage durable
Apostrophes, c’était plus qu’une émission : c’était une institution culturelle qui influençait les ventes de livres et fédérait un public autour de la littérature. Même 50 ans plus tard, son impact reste palpable, bien que peu d’émissions contemporaines aient réussi à égaler son rayonnement. Avec Apostrophes, Bernard Pivot a prouvé que les livres pouvaient captiver un public de masse et enrichir le débat public, une leçon intemporelle dans un monde médiatique en constante mutation.