Affaire Ruffin : Quand la surveillance dépasse les bornes
Entre dénégations et justifications embarrassées, le procès de Bernard Squarcini, ancien patron du renseignement français, et de plusieurs prévenus dévoile les coulisses d’une affaire de surveillance jugée « rocambolesque ». En cause : un dispositif présumé d’espionnage visant François Ruffin, député de gauche et fondateur du journal Fakir, pour le compte du groupe de luxe LVMH.
Une mécanique complexe de surveillance
Entre 2013 et 2016, Bernard Squarcini, passé dans le privé après avoir dirigé la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue DGSI), est accusé d’avoir mis en place un système sophistiqué pour surveiller Fakir et son fondateur. L’objectif ? Neutraliser les tentatives du journal de perturber les assemblées générales de LVMH, alors que l’équipe tournait le documentaire Merci patron !, dénonçant les pratiques de Bernard Arnault, PDG du groupe.
Le dispositif allégué comprenait des agents recrutés pour infiltrer le journal et fournir des informations sur ses activités. Parmi eux, une femme se faisant passer pour photographe aurait été incitée à rejoindre Fakir. « Ce n’est pas une infiltration, c’est une remontée d’information préventive », a défendu Hervé Séveno, un ex-policier impliqué dans l’affaire.
Contrats et millions d’euros en jeu
Le rôle des protagonistes se clarifie à travers les contrats et les échanges financiers. Bernard Squarcini, via sa société de conseil, a facturé 2,2 millions d’euros à LVMH pour ses services. Hervé Séveno, en sous-traitance, aurait perçu 450 000 euros. Pourtant, les prévenus minimisent la portée de leurs actions, évoquant des « abus de langage » ou des « malentendus » concernant le terme « infiltration ».
Jean-Charles Brisard, consultant en intelligence économique impliqué dans le dossier, a affirmé que les informations obtenues étaient d’une « utilité limitée » et qu’il s’agissait davantage d’anticiper des troubles potentiels qu’une véritable stratégie d’espionnage.
À la barre, François Ruffin, partie civile, a dénoncé la disproportion des moyens mobilisés contre son journal. « Trois agences d’intelligence économique, 2 millions d’euros, de l’infiltration, de l’atteinte à la vie privée ! » a-t-il fustigé. Il a également souligné l’ironie de voir des « joyeux drilles » qualifiés de fauteurs de troubles, face à un dispositif évoquant les méthodes de la haute surveillance.
Ruffin, défenseur déclaré de la non-violence, a insisté sur l’importance des mots, son arme principale dans ses combats politiques et journalistiques. Il a pointé du doigt une « mécanique sombre » visant à museler la presse, tout en regrettant que Bernard Arnault lui-même ne soit pas sur le banc des accusés.
Vers une audience clé
Alors que le procès suit son cours, la convocation de Bernard Arnault comme témoin, prévue le 28 novembre, est attendue avec impatience. Pour Ruffin et son équipe, cette audience représente une chance de faire toute la lumière sur des pratiques qu’ils considèrent comme un scandale démocratique.
En attendant, les prévenus peinent à convaincre. Les justifications se multiplient, mais la question centrale demeure : pourquoi, face à des « fauteurs de troubles », ne pas avoir simplement saisi la justice, plutôt que de recourir à des moyens dignes d’un scénario de film d’espionnage ?