Alors que le procès de Joël Le Scouarnec se poursuit à Vannes, la justice a décidé d’ouvrir une nouvelle enquête préliminaire pour tenter d’identifier d’éventuelles autres victimes de l’ancien chirurgien, déjà jugé pour des viols et agressions sexuelles sur 299 patients, pour la plupart mineurs. Cette décision, annoncée par le parquet général de Rennes, fait suite à plusieurs constats préoccupants relevés lors du procès en cours.
Le point de bascule est intervenu après les aveux de Joël Le Scouarnec : pour la première fois, il a reconnu l’ensemble des faits reprochés devant la cour criminelle du Morbihan. Une étape cruciale, d’autant plus que ses aveux confortent les nombreuses preuves matérielles, notamment les carnets qu’il tenait, où il consignait avec une précision glaçante les sévices infligés à ses jeunes victimes.
Mais c’est précisément autour de ces carnets que la polémique enfle. Car malgré leur valeur probante indéniable, de nombreuses victimes identifiées dans ces écrits n’ont pas été retrouvées ou même recherchées, selon un arrêt de la cour d’appel de Rennes de décembre 2022. Des noms ont été négligés, des erreurs d’identification commises, des homonymes confondus, et certains cas de violences n’ont pas été investigués malgré des descriptions détaillées.
Les critiques fusent : avocats des parties civiles, journalistes spécialisés et magistrats s’accordent à pointer de graves carences dans l’enquête initiale. Certains accusent les autorités d’avoir été dépassées par l’ampleur du dossier, d’autres évoquent un manque de moyens ou une volonté de « boucler » rapidement l’instruction. Pour Céline Astolfe, avocate de la Fondation pour l’enfance, les enquêteurs se sont « enfermés dans les carnets », laissant de côté des pistes fondamentales comme les fichiers de l’Assurance maladie, qui auraient permis d’identifier la totalité des anciens patients du chirurgien.
Autre inquiétude : deux années d’écrits, entre 1994 et 1996, manquent dans les carnets saisis. Or, Joël Le Scouarnec a reconnu avoir fait des victimes durant cette période. Cela laisse présager que le chiffre de 299 victimes, déjà effrayant, pourrait être en deçà de la réalité.
Face à cette situation, le parquet de Lorient mène désormais de nouvelles investigations, centrées sur des agressions sexuelles et des viols, des qualifications qui pourront être affinées au fur et à mesure de l’enquête. Des dizaines de personnes, identifiées dans les carnets ou s’étant manifestées récemment, pourraient être entendues.
Pour les avocats des parties civiles, cette nouvelle phase est essentielle : il s’agit non seulement de donner une voix aux victimes oubliées, mais aussi de rétablir une certaine forme de justice face à ce que certains décrivent déjà comme un des plus grands scandales judiciaires de ces dernières décennies. En toile de fond, la question d’une éventuelle responsabilité de l’État pour dysfonctionnement de la justice pourrait, elle aussi, finir devant les tribunaux.