Le 30 septembre 2024, s’ouvre un procès historique devant le tribunal correctionnel de Paris qui marque un tournant majeur pour le Rassemblement National (RN), anciennement Front National (FN). Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, et 27 autres personnes, dont plusieurs cadres du parti, sont jugées pour détournement de fonds publics. Accusés d’avoir mis en place un système sophistiqué d’emplois fictifs aux postes d’assistants parlementaires européens, les prévenus risquent jusqu’à dix ans d’emprisonnement, des amendes considérables, et une possible inéligibilité. Voici les principaux éléments à comprendre dans cette affaire tentaculaire.
Des accusations graves : détournement de fonds publics et recel
Le délit principal en cause est le détournement de fonds publics, en vertu de l’article 432-15 du Code pénal, qui sanctionne le fait, pour une personne chargée d’une mission de service public, de détourner des fonds confiés en raison de ses fonctions. Dans ce cas, il s’agit des subventions du Parlement européen allouées pour rémunérer les assistants parlementaires de ses députés. Selon l’accusation, ces fonds auraient été utilisés illégalement pour payer des collaborateurs du FN travaillant pour le parti plutôt que pour remplir des missions liées à l’activité parlementaire.
Les poursuites ne s’arrêtent pas là. Certains assistants parlementaires eux-mêmes, censés être rémunérés pour des tâches spécifiques liées aux fonctions européennes des députés, sont accusés de « recel de détournement de fonds publics ». En d’autres termes, ils auraient bénéficié de ces crédits détournés, tout en étant parfaitement conscients que leurs activités n’avaient rien à voir avec l’assistance parlementaire prévue. De plus, des accusations de complicité sont formulées contre des cadres du parti, notamment contre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen, accusés d’avoir orchestré ces détournements « systémiques » au profit du parti.
Les accusés : un panel de cadres et collaborateurs historiques du RN
Au total, 28 prévenus se retrouvent sur le banc des accusés, parmi lesquels Marine Le Pen, mais aussi Louis Aliot, maire de Perpignan et vice-président du RN, et d’autres personnalités historiques comme Bruno Gollnisch. Sont également jugés plusieurs députés européens en poste au moment des faits, comme Catherine Griset et Nicolas Bay, ainsi que des collaborateurs de longue date du parti.
Les assistants parlementaires accusés de recel incluent des figures proches de Marine Le Pen, comme Catherine Griset, son ancienne cheffe de cabinet, et Thierry Légier, son garde du corps historique. Les accusations s’étendent également à des tâches totalement détachées des missions parlementaires, avec des employés travaillant sur des événements, la communication du parti, ou d’autres fonctions internes. Ces collaborateurs auraient été rémunérés par des fonds européens sans jamais exercer les tâches pour lesquelles ils étaient censés être payés.
Un système de fraude complexe
L’affaire révèle un système particulièrement structuré. Entre 2004 et 2016, le FN aurait détourné les fonds européens destinés aux assistants parlementaires pour en faire des économies sur la masse salariale du parti, permettant ainsi de financer de nombreux postes en interne. Les juges évoquent une organisation centralisée, orchestrée par les cadres du parti, visant à détourner systématiquement les fonds publics. Un préjudice total de 7 millions d’euros est évoqué par le Parlement européen, qui s’est constitué partie civile.
Des échanges de courriels et de SMS entre les différents protagonistes du FN montrent clairement que les prévenus étaient conscients de la nature illégale de leurs actions. Par exemple, un courriel de Wallerand de Saint-Just, alors trésorier du parti, à Marine Le Pen, évoque sans ambiguïté la nécessité de faire des économies grâce aux fonds européens. D’autres messages montrent les discussions autour du « montage financier » des contrats ou les tentatives de couvrir les irrégularités avec des justifications fallacieuses.
Les règles de financement des assistants parlementaires au Parlement européen ont évolué entre 2004 et 2016. Au fil des années, le Parlement a renforcé la réglementation pour empêcher que des fonds alloués ne soient utilisés pour financer des activités partisanes ou des employés de parti. Malgré ces ajustements, il est reproché aux cadres du RN d’avoir continué de contourner ces règles.
La mission d’un assistant parlementaire est clairement définie comme étant exclusivement en lien avec le mandat du député. Toute affectation à des tâches internes au parti ou relatives à des activités militantes est formellement interdite. Pourtant, le FN aurait utilisé les enveloppes destinées aux assistants pour des employés travaillant dans des domaines sans lien direct avec les travaux parlementaires, notamment pour des événements et des campagnes politiques.
Les conséquences potentielles : inéligibilité et amendes
En plus des peines de prison encourues — pouvant aller jusqu’à dix ans pour les responsables de ce système — les prévenus risquent des amendes lourdes pouvant s’élever jusqu’à un million d’euros, voire plus si le montant est doublé par rapport au préjudice constaté. Le parti lui-même, en tant que personne morale, est également mis en cause, et pourrait faire face à des amendes encore plus élevées.
Un autre enjeu majeur du procès concerne la possibilité d’une peine d’inéligibilité pour les prévenus, à commencer par Marine Le Pen, qui a déjà annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2027. Une telle peine serait un coup dur pour la carrière politique de Marine Le Pen, la rendant inéligible pour une durée allant jusqu’à dix ans.
Un procès à forte symbolique politique
Le procès, qui s’étendra sur deux mois avec des audiences réparties sur 27 jours, promet d’être une étape décisive pour le RN. Le parti, qui a tenté de se « dédiaboliser » sous la direction de Marine Le Pen, est ici rattrapé par ses anciennes pratiques. L’enquête, menée durant plus de huit ans, montre que ce système n’était pas accidentel mais bien structuré et coordonné. Les magistrats parlent d’une « gestion concertée et délibérée » des fonds européens pour subvenir aux besoins financiers du parti.
Ce procès intervient à un moment où Marine Le Pen espère poursuivre son ascension politique, ayant réussi à s’implanter fermement dans le paysage politique français ces dernières années. L’issue du procès aura non seulement des répercussions judiciaires, mais aussi des conséquences électorales et sur la perception du RN dans l’opinion publique.
L’affaire des assistants parlementaires du RN représente bien plus qu’un simple contentieux judiciaire ; elle met en lumière la gestion des fonds publics au sein d’un parti politique ayant pour ambition de diriger la France. Le procès à venir questionne la transparence et l’éthique au sein du RN, avec des répercussions qui pourraient transformer l’avenir du parti et de sa dirigeante emblématique. Si les accusations sont confirmées, cela risquerait de mettre à mal la légitimité politique de Marine Le Pen et de son entourage, à un moment crucial de leur carrière.