La France face aux sachets de nicotine : régulation ou prohibition ?
Alors que le mois sans tabac bat son plein, l’annonce de l’interdiction prochaine des sachets de nicotine, ces produits sans tabac récemment arrivés sur le marché français, a suscité de vives réactions. La ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, a justifié dans Le Parisien cette décision par la nécessité de protéger les jeunes, jugés particulièrement vulnérables face à ces produits. Mais la mesure divise, certains estimant qu’elle pourrait créer des effets pervers.
Les sachets de nicotine, aussi appelés « pouches », se placent entre la gencive et la lèvre, permettant une absorption de nicotine sans fumée ni tabac. Leur simplicité et leur discrétion les ont rendus populaires, notamment chez les jeunes, ce qui inquiète les autorités sanitaires.
« Ces produits ciblent directement les adolescents, avec un marketing agressif et des risques d’intoxications sévères », a affirmé Geneviève Darrieussecq. La ministre évoque une hausse des signalements aux centres anti-poisons pour des cas de syndromes nicotiniques aigus, avec des symptômes allant des vomissements aux convulsions.
Pour autant, les chiffres restent faibles : selon l’ANSES, seuls 47 cas d’intoxications liés à des sachets de nicotine ou au snus ont été recensés entre 2017 et 2021, un chiffre marginal par rapport aux 188 000 cas liés aux médicaments ou aux 109 000 imputés aux produits ménagers.
Face à l’interdiction annoncée, les critiques se multiplient. Certains craignent que cette mesure ne pousse les consommateurs, notamment les jeunes, vers des produits non réglementés, disponibles sur le marché noir. En Belgique, où les sachets sont interdits, un marché parallèle s’est développé, rendant ces produits accessibles en dehors de tout contrôle. À l’inverse, des pays comme la Suède ou la Finlande ont choisi de réguler leur usage. En Suède, où les sachets sont encadrés depuis plusieurs années, le taux de tabagisme est passé de 19 % en 2000 à 5,3 % aujourd’hui, le plus bas d’Europe. La régulation impose notamment un plafonnement de la nicotine et des mesures strictes pour en limiter l’accès aux mineurs. Les buralistes français pourraient jouer un rôle dans cette régulation. Habitués à la vente de produits sensibles, ils sont déjà soumis à des contrôles stricts sur les cigarettes et produits de vapotage. Leur implication aurait permis d’encadrer la distribution tout en préservant des recettes fiscales importantes.
Un débat escamoté ?
L’intérêt des sachets de nicotine ne se limite pas à leur discrétion. Ils sont souvent perçus comme une alternative moins nocive au tabac ou à la cigarette électronique. Contrairement à ces derniers, ils ne produisent ni fumée ni goudron, réduisant ainsi l’exposition à des substances toxiques.
En Suède, leur introduction a contribué à une baisse significative du tabagisme, un modèle que certains spécialistes de la réduction des risques appellent à considérer en France. Selon eux, ces produits pourraient être intégrés dans une stratégie de sevrage tabagique, tout en protégeant les non-fumeurs grâce à une régulation adaptée.
L’interdiction annoncée par la ministre de la Santé intervient sans étude d’impact ni réelle concertation publique. Si la volonté de protéger la jeunesse fait consensus, la méthode suscite des questions. Une interdiction pure et simple, estiment certains experts, pourrait priver les fumeurs d’un outil efficace tout en favorisant des circuits illégaux. Alors que le mois sans tabac invite les Français à réduire ou arrêter leur consommation de tabac, cette annonce soulève un paradoxe. Les sachets de nicotine, destinés initialement à réduire les risques liés au tabagisme, risquent de disparaître avant même d’avoir trouvé leur place sur le marché français. Le décret d’interdiction est attendu dans les prochaines semaines. Mais à l’heure où la lutte contre le tabagisme reste un enjeu de santé publique majeur, cette décision pose une question : faut-il interdire pour protéger, ou réguler pour accompagner ?