Daniel Spoerri, l’« artiste de la vaisselle sale » et pionnier du Eat Art, s’éteint à 94 ans

07 novembre, 2024 / Alice Leroy

L’artiste suisse Daniel Spoerri, surnommé l’« artiste de la vaisselle sale », est décédé à 94 ans, laissant derrière lui une empreinte unique dans le monde de l’art. Connu pour ses « tableaux-pièges », Spoerri immortalise des scènes du quotidien en fixant sur des planches les restes d’un repas, des objets anodins ou des fragments de vie, exposés ensuite en position verticale comme autant de reliques du banal. Membre fondateur du mouvement des Nouveaux Réalistes aux côtés de figures comme Yves Klein et Arman, Spoerri affirmait : « Je ne me permets aucune créativité », laissant chaque objet à sa place d’origine pour capturer l’instant sans artifice. Ce concept novateur incarne son regard sur un monde où l’ordinaire se révèle extraordinaire, inscrivant ses œuvres dans la lignée des natures mortes revisitées.

Spoerri est également le père du « Eat Art », mouvement où la nourriture devient un matériau artistique. En 1968, il ouvre le Restaurant des Sept Sens à Düsseldorf, où les clients pouvaient repartir avec un « tableau-piège » constitué de leurs propres restes. Peu après, il inaugure la Eat Art Gallery, où des artistes comme César et Arman exposent des créations éphémères comestibles, jouant sur la frontière entre l’art et la consommation. Cette démarche interroge les rituels alimentaires et les habitudes de consommation, un miroir de la société moderne que Spoerri s’amuse à déconstruire avec humour et ironie. Ses œuvres, à la fois intemporelles et engagées, continuent de questionner la place de l’ordinaire dans un monde en quête de signification.

Son travail a été célébré dans de nombreuses rétrospectives, soulignant la profondeur et l’originalité de son approche. En 2021, le Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice (Mamac) lui a consacré une grande exposition, tandis que le Centre Pompidou à Paris avait déjà mis en avant son œuvre dans les années 1990. Ces expositions illustrent la portée durable de son art et la pertinence de sa démarche, qui a su saisir la beauté du trivial et en faire un langage universel.