Kais Saied, largement réélu président de la Tunisie

07 octobre, 2024 / Entrevue

Le président sortant de Tunisie, Kais Saied, a été donné vainqueur de l’élection présidentielle de dimanche, avec un résultat impressionnant de plus de 89 % des voix, selon un sondage à la sortie des urnes réalisé par l’institut Sigma Conseil et diffusé par la télévision nationale Wataniya. Ses adversaires, Ayachi Zammel, un industriel libéral, et Zouhair Maghzaoui, un ancien député de gauche, ont recueilli respectivement 6,9 % et 3,9 % des suffrages. Les résultats préliminaires officiels sont attendus lundi, d’après l’autorité électorale, l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE).

Participation faible et critiques de l’opposition

Le taux de participation à ce scrutin s’est établi à environ 28 %, le plus faible jamais enregistré pour un premier tour de l’élection présidentielle en Tunisie depuis 2011, année marquant l’instauration de la démocratie après le renversement du régime de Ben Ali. Farouk Bouasker, président de l’ISIE, a toutefois qualifié ce taux de « respectable ». Pour comparaison, environ 45 % des électeurs s’étaient déplacés aux urnes lors de l’élection de 2019.

Le processus électoral a été marqué par l’absence de 17 postulants, écartés pour des irrégularités présumées. Ainsi, seul Kais Saied a pu affronter Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui, que de nombreux observateurs considèrent comme des candidats de second plan. Ayachi Zammel, 47 ans, n’a même pas pu mener campagne en raison de son emprisonnement depuis début septembre, lié à des accusations de faux parrainages, qui lui ont valu trois condamnations cumulant plus de 14 ans de prison.

Les accusations de dérive autoritaire

Depuis 2021, Kais Saied fait face à de vives critiques de la part de l’opposition tunisienne et des ONG, qui dénoncent une « dérive autoritaire » marquée par le démantèlement des contre-pouvoirs, des restrictions croissantes à la société civile, et des arrestations de figures de l’opposition, de syndicalistes, et de militants. Selon Human Rights Watch, plus de 170 personnes sont actuellement détenues en Tunisie pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.

Le président a promis, lors de sa campagne, une « nouvelle Tunisie » dans les cinq prochaines années, après un premier mandat centré sur la lutte contre « les forces du complot sous influences étrangères ». Ces accusations d’influence extérieure et de complot ont été répétées à plusieurs reprises par le président pour justifier ses actions visant à restreindre l’opposition et les voix dissidentes.

Un scrutin faussé, selon l’opposition

L’opposition et les ONG locales et internationales ont vivement critiqué le déroulement de cette élection, estimant qu’elle était biaisée en faveur de Kais Saied. Selon l’analyste politique tunisien Hatem Nafti, « la légitimité de l’élection est forcément entachée quand les candidats capables de faire de l’ombre à Kais Saied ont été systématiquement écartés ». Il a ajouté que le faible taux de participation reflète le désenchantement des électeurs.

Le processus de sélection des candidats a également été critiqué pour le nombre élevé de parrainages requis et l’éviction de rivaux sérieux, notamment Mondher Zenaidi, ancien ministre sous le régime Ben Ali, qui aurait pu représenter une menace significative pour le président sortant.

L’expert français du Maghreb, Pierre Vermeren, estime que malgré cette forte abstention, Kais Saied bénéficie toujours d’une certaine acceptation parmi la population : « Même si la légitimité démocratique est faible, la Tunisie a un président et la majorité des Tunisiens laissent faire ». Il a également relevé des similitudes avec l’Algérie voisine, où le président Abdelmadjid Tebboune reste en place sans contestation majeure.

Kais Saied semble donc s’assurer un nouveau mandat à la tête de la Tunisie, dans un contexte de forte abstention et de critiques concernant la transparence du processus électoral. Malgré des accusations de dérive autoritaire et un taux de participation historiquement bas, il continue de maintenir une emprise solide sur le pouvoir, au grand dam de l’opposition et de la société civile, qui dénoncent un recul des acquis démocratiques dans le pays.