Guerre en Ukraine : « rien ne fera reculer Poutine », selon un expert de la CIA

30 septembre, 2024 / Entrevue

Alors que Volodymyr Zelensky multiplie les appels à la communauté internationale pour contraindre la Russie à la paix, l’expert de la politique étrangère russe, Peter Schroeder, ancien analyste de la CIA, offre dans une interview à l’Express, une perspective réaliste et sans illusions sur la situation. Pour lui, le président russe Vladimir Poutine n’est pas prêt à abandonner son objectif en Ukraine et la guerre risque de durer aussi longtemps qu’il sera au pouvoir.

Un conflit enraciné dans une stratégie à long terme

Selon Peter Schroeder, les raisons qui ont poussé Poutine à envahir l’Ukraine sont souvent mal interprétées en Occident. Contrairement à une vision largement répandue, il ne s’agirait pas d’une simple ambition impérialiste visant à restaurer l’empire russe, mais plutôt d’une stratégie de sécurité visant à éviter que l’Ukraine devienne un « État antirusse ». « Poutine veut exercer un contrôle sur l’Ukraine pour influencer ses orientations en matière de politique étrangère et de sécurité », explique Schroeder.

Il estime que la décision d’envahir l’Ukraine en 2022 ne découle pas d’un désir de conquête territoriale, mais d’un impératif stratégique. En témoignent les actions de Poutine en 2014 lors de l’annexion de la Crimée, où, après la victoire militaire à Ilovaïsk, il avait opté pour une solution politique plutôt qu’une avancée militaire plus profonde.

L’impasse de la stratégie occidentale

Peter Schroeder critique l’approche américaine, qui consiste à augmenter le coût de la guerre pour la Russie dans l’espoir de pousser Poutine à négocier. Pour l’expert, cette stratégie ne fonctionne pas face à un dirigeant pour qui la guerre en Ukraine est une question existentielle. Schroeder affirme que « Poutine ne changera pas d’avis » et qu’il n’est pas possible de le convaincre d’abandonner ses objectifs par des sanctions économiques ou une escalade militaire.

Selon lui, la véritable menace pour le pouvoir de Poutine viendrait de l’intérieur, notamment de la lassitude grandissante des élites russes face à la guerre. Toutefois, tant que Poutine restera au pouvoir, le Kremlin continuera de faire pression pour atteindre ses objectifs en Ukraine, sans se laisser dicter la conduite par l’Occident.

La paix, une option réaliste ?

Pour Schroeder, parler de paix avec Poutine est un jeu dangereux, car il utilise souvent ces discussions à des fins tactiques, visant à affaiblir le soutien occidental à l’Ukraine. Même si des pourparlers étaient ouverts, il est improbable que Poutine accepte de retirer ses troupes des territoires occupés. Il exigerait la reconnaissance des « nouvelles réalités territoriales » nées de l’invasion, c’est-à-dire la conservation des gains territoriaux dans le Donbass, une condition inacceptable pour Kiev.

Schroeder se montre pessimiste quant à une victoire militaire des Ukrainiens à court terme. Pour lui, la guerre pourrait durer jusqu’à la fin du règne de Poutine. Il estime qu’il sera difficile pour l’Ukraine de repousser les forces russes, faute de ressources suffisantes et d’un soutien occidental conséquent. Selon lui, la meilleure option serait de continuer à soutenir l’Ukraine, en espérant qu’un changement à la tête du Kremlin conduira à une position plus favorable à la négociation.

L’analyste de la CIA souligne cependant les difficultés à long terme. « Les Ukrainiens manquent d’artillerie, de systèmes de défense aérienne, et de ressources humaines », note-t-il, ajoutant que les alliés de Kiev ne semblent pas prêts à investir les sommes nécessaires pour inverser la tendance sur le terrain.

Une impasse stratégique

Peter Schroeder conclut que, si l’Occident espère atteindre ses objectifs en Ukraine, il doit se préparer à un long conflit. Ni Poutine ni l’armée russe ne semblent sur le point de reculer, et une victoire ukrainienne reste, selon lui, difficile à envisager. « Il est temps d’adopter une vision réaliste de la situation », avertit-il, soulignant qu’en l’absence de compromis significatif, seule la disparition de Poutine pourrait changer la donne.

Ainsi, la guerre en Ukraine apparaît comme un conflit sans issue claire pour l’instant, dans lequel chaque camp attend un bouleversement susceptible de redéfinir les rapports de force. En attendant, le soutien à l’Ukraine doit se poursuivre, même si la paix semble encore lointaine.