Tenir debout : Suzanne de Baecque s’infiltre chez les Miss et dévoile les corps sous contrainte

30 septembre, 2024 / Laurène Thierry

Laurène Thierry, comédienne et chroniqueuse culture, vous plonge au cœur des spectacles les plus en vogue de la capitale et à travers toute la France. Pour Entrevue, elle explore le monde du théâtre et vous fait découvrir des artistes et des récits captivants.

Révélée par ses rôles de suivante effrontée chez Marivaux (La Seconde Surprise de l’Amour) ou de fiancée exubérante chez Labiche (Un chapeau de paille d’Italie), Suzanne de Baecque se lance aujourd’hui en solo avec Tenir debout. Ce projet personnel est né d’un exercice de création proposé par l’École du Nord : chaque élève devait partir un mois en solitaire à l’aventure et revenir avec un projet artistique. En quête de sens, la jeune comédienne, alors en troisième année, décide de s’immerger dans un univers qu’elle connaît mal mais qui la fascine par ses contradictions : le concours de Miss Poitou-Charentes. Avec, au départ, une question : « Comment aujourd’hui, alors qu’une nouvelle parole féministe se libère, peut-on vouloir devenir Miss ? ».

Dans Tenir debout, Suzanne de Baecque plonge le spectateur dans les coulisses de ces compétitions où les corps sont transformés en objets de spectacle, classés, évalués, et dressés selon des critères rigides. Avec sa partenaire Raphaëlle Rousseau, Suzanne de Baecque incarne, détourne et déforme ces corps de Miss. Elle s’approprie cet espace de fausse perfection avec humour et interroge, sur le plateau, la notion de féminité. Nous traversons auprès des deux comédiennes les différentes étapes du concours et rencontrons les autres prétendantes par le biais de témoignages.

La pièce devient une réflexion comico-sociologique sur le corps comme matière première, à la fois chez les Miss et les comédiennes, pris dans les mêmes filets d’exposition publique et d’injonctions. Suzanne de Baecque et Raphaëlle Rousseau explorent les limites de leur propre physicalité. À l’épreuve du souffleur braqué en pleine puissance vers leur visage qui se déforme ou encore à travers la métaphore hippique de l’entraînement de la future Miss qui subit un véritable dressage à l’image d’un cheval de course, les deux comédiennes acceptent que leur corps leur échappe. Sur scène, la présence de Suzanne de Baecque nous offre un spectacle d’une belle étrangeté. Avec son corps élastique et ses mouvements désarticulés, la jeune comédienne de 29 ans propose une performance unique : ses longs bras se déploient, ses grandes mains se posent avec raideur sur des hanches volontairement décalées, ses jambes fléchissent maladroitement, et ses grands yeux bleus, semblables à ceux d’une poupée, défient le public. Chaque geste, chaque posture se transforme en une sorte de révolte silencieuse.

Cette déformation volontaire des gestes et des postures expose les failles invisibles qui se cachent sous les sourires figés des Miss. En incarnant une Barbie grotesque qui échappe à toute tentative de domestication, Suzanne de Baecque nous invite à nous interroger sur l’apparente légèreté des concours de beauté. À travers des scènes puissantes et décalées, elle réussit à faire émerger une réflexion sur la discipline imposée au corps féminin et sur les stratégies de résistance que chaque individu peut inventer pour s’approprier son propre corps. Ainsi, Tenir debout est avant tout une histoire de corps rebelles qui se libèrent peu à peu des normes et révèlent leur propre vérité.

Tenir debout, écrit et mis en scène par Suzanne Baecque, au théâtre du Rond Point jusqu’au 6 octobre 2024.

Laurène Thierry