Thomas Guénolé appelle à l’interdiction du RN : une posture radicale, mais juridiquement impossible

24 septembre, 2024 / Radouan Kourak

Le politologue Thomas Guénolé, ancien cadre de La France insoumise, a créé la polémique lors de son passage sur Franceinfo, ce dimanche, en appelant ouvertement à l’interdiction du Rassemblement national (RN). Avec virulence, il a dénoncé ce qu’il considère comme un « parti politique hors norme », incitant, selon lui, à la haine et à la discrimination. Mais derrière ce plaidoyer radical, certains experts estiment que son appel relève plus d’un coup d’éclat médiatique que d’une véritable proposition réaliste.

« Un parti qui propage la haine » : les accusations sévères de Guénolé

Thomas Guénolé, auteur du récent Manuel de résistance à l’extrême droite, ne mâche pas ses mots. Selon lui, le RN, dirigé par Jordan Bardella, propage des idées dangereuses pour la démocratie française. Il évoque les théories du « grand remplacement » et de la « submersion migratoire », concepts popularisés par l’extrême droite, qu’il qualifie d’incitations à la haine envers les populations d’origine maghrébine.

Pour justifier sa position, Guénolé s’appuie sur l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure, qui prévoit la possibilité de dissoudre des associations ou groupements qui incitent à la haine ou à la violence. « Il n’est pas nécessaire de modifier la loi, elle permet déjà de le faire », a-t-il affirmé avec assurance, laissant entendre que l’interdiction du RN serait à portée de main. Pourtant, la réalité juridique est plus complexe.

Le problème majeur du discours de Guénolé réside dans un certain décalage avec les faits. Si l’article L212-1 permet effectivement de dissoudre des groupes prônant la violence, il a principalement été utilisé contre des groupuscules radicaux et violents, comme ceux d’inspiration néonazie ou islamiste. Appliquer cette disposition au premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale, qui a rassemblé près de 11 millions de voix lors des dernières législatives est un tout autre défi.

Certains observateurs n’hésitent pas à qualifier l’argumentation de Guénolé d’irréaliste. « Le RN n’est pas un groupuscule marginal, c’est un parti institutionnalisé qui participe au jeu démocratique », explique un constitutionnaliste sous couvert d’anonymat. « Même si ses idées sont clivantes, il respecte le cadre républicain. » Difficile, dans ces conditions, de justifier une dissolution sans risquer de créer un dangereux précédent, où tout parti d’opposition pourrait, à l’avenir, être menacé.

Le paradoxe de la tolérance, une analogie mal ajustée

Guénolé invoque également le fameux paradoxe de la tolérance du philosophe Karl Popper, affirmant qu’il est parfois nécessaire, pour protéger la démocratie, de se montrer intolérant face aux forces qui pourraient la détruire. Il n’hésite pas à faire un parallèle avec l’Allemagne des années 1930 : « Est-ce qu’on n’aurait pas dû interdire le parti nazi avant qu’il ne prenne le pouvoir et détruise la République de Weimar ? », s’interroge-t-il.

Mais là encore, la comparaison semble hasardeuse. Si le RN adopte une rhétorique parfois considérée comme populiste , il participe à la vie démocratique, en respectant les règles du jeu électoral. Thomas Guénolé semble ignorer les nuances entre une force politique extrémiste qui respecte le cadre institutionnel et un mouvement ouvertement violent et révolutionnaire à l’instar de la Jeune Garde antifasciste du député Raphaël Arnault. En France, les exemples de dissolution de partis politiques sont extrêmement rares et concernent essentiellement des groupes prônant explicitement la violence.

Au-delà de la question juridique, le projet de Guénolé pourrait également s’avérer politiquement contre-productif. Interdire le RN, première force d’opposition à l’Assemblée, risquerait d’accentuer le sentiment de persécution chez ses électeurs, qui dénoncent déjà régulièrement une marginalisation par l’establishment, cet mardi encore, le nouveau ministre de l’Économie a au cours d’une interview, exclut le RN de l’«arc républicain». Radicaliser ses partisans en leur donnant l’image d’un parti censuré pourrait non seulement renforcer le RN, mais aussi lui conférer un statut de martyr.

Guénolé, en quête de visibilité ?

Derrière cette prise de position tranchée, certains y voient aussi une tentative de retour sur le devant de la scène pour un politologue qui a quitté la France insoumise dans des conditions controversées. Ses propos, bien que théâtraux, peinent à convaincre ceux qui connaissent les rouages du droit constitutionnel. Si Thomas Guénolé réussit à relancer le débat sur les limites de la tolérance en démocratie, son appel à l’interdiction du Rassemblement national semble plus relever de la posture que de la faisabilité. Les obstacles juridiques et politiques sont tels que cette idée apparaît peu viable, en dépit de la virulence de ses arguments.

En conclusion, l’appel de Thomas Guénolé à interdire le Rassemblement national s’apparente plus à une provocation qu’à une proposition sérieuse. Derrière les grandes envolées philosophiques et les analogies historiques mal ajustées, son projet se heurte à la réalité démocratique et juridique. Au final, Guénolé semble surtout en quête de lumière, risquant de renforcer ce qu’il prétend combattre, tout en offrant au RN un coup de projecteur supplémentaire. Une tentative de posture qui, à défaut d’être efficace, frôle l’absurde.