« Le harcèlement scolaire existe depuis toujours mais a longtemps été sous-estimé. » Sandrine Pégand, avocate pénaliste, nous parle du harcèlement, l’un des chantiers du nouveau gouvernement

24 septembre, 2024 / Jerome Goulon

Alors qu’Anne Genetet vient d’être nommée ministre de l’Éducation nationale dans le nouveau gouvernement de Michel Barnier, l’un de ses principaux chantiers va être la lutte contre le harcèlement scolaire, dans la lignée de sa prédécesseure Nicole Belloubet. Depuis trois semaines, une campagne contre le harcèlement est d’ailleurs menée par le ministère ( https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement ).

Il faut dire que ce phénomène gangrène les cours de récréation et même au-delà, les réseaux sociaux contribuant à ce fléau. Malheureusement, il est difficile de connaître le nombre exact de victimes. La parole peine en effet trop souvent à se libérer, et le harcèlement scolaire n’est reconnu par le Code pénal que depuis mars 2022. Nous avons interrogé Sandrine Pégand, une avocate pénaliste et consultante sur BFMTV, afin de savoir si l’arsenal législatif était suffisant pour lutter contre le harcèlement scolaire.

Jérôme  Goulon :  Le harcèlement scolaire est un fléau dont il est difficile de se débarasser. On se souvient notamment de l’affaire du petit Lucas, qui s’était suicidé à l’âge de 13 ans et qui avait ému toute la France. Que vous inspire ce genre de drame ? 
Sandrine Pégand : L’histoire se répète. Je me souviens du jeune Jonathan Destin, qui après des années de harcèlement scolaire, s’était immolé par le feu le 7 février 2011. Il était alors devenu une figure emblématique de la lutte contre le harcèlement scolaire. On pensait déjà que les choses allaient changer, mais d’autres noms de victimes de pareilles pratiques sont apparus. Il aura fallu attendre la loi du 2 mars 2022 pour qu’une infraction spécifique soit créée. Pour autant, je m’interroge, dès à présent : cela mettra-t-il un terme à la série noire ?

Le harcèlement scolaire est-il assez puni par la justice ? 
Le harcèlement scolaire existe depuis toujours mais a longtemps été sous-estimé par le législateur et par conséquent par tous les services d’enquête ( police et gendarmerie ). La prise de conscience de cette problématique a évolué, à l’instar d’autres souffrances très fortes, comme les viols, et les agressions sexuelles. Tout laisse à penser que cette nouvelle loi ne va pas rester dans les tiroirs et sera mise en œuvre de façon énergique par les Parquets qui poursuivront. J’espère que cela aura un effet dissuasif.

La loi reconnait le harcèlement scolaire depuis deux ans et demi seulement…
Oui. La loi du 2   mars 2022 a créé un délit spécifique de harcèlement scolaire dans un article du Code pénal. Cet article renvoie aux dispositions d’un article du même code qui traite du harcèlement moral. Ce dernier consiste à harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. Le harcèlement est également constitué lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes qui se sont concertées sans avoir agi de manière répétée ou sans concertation, mais de manière répétée. 

Quelles sont les sanctions encourues en cas de harcèlement scolaire ?
Les coupables de harcèlement scolaire encourent une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45000 € d’amende lorsqu’il a causé une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’a entraîné aucune incapacité de travail. 

La peine peut donc être plus lourde si l’élève harcelé a été blessé ?
Oui. La peine est de cinq ans d’emprisonnement et 75  000 € d’amende lorsque les faits ont causé une ITT supérieure à huit jours. 

Et si le harcèlement a provoqué le suicide de la victime, quelle est la peine encourue ?
La peine maximale est de dix ans de prison et 150 000  € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider. 

Et quand le harcèlement est commis par un mineur, j’imagine que les sanctions sont moindres…
Oui. C’est l’excuse de minorité. Un mineur, capable de discernement, ne peut pas être puni comme un adulte. Le Tribunal pour Enfants et la Cour d’assises des mineurs ne pourront prononcer une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue pour un adulte, sauf à ce que l’excuse de minorité soit écartée pour des mineurs âgés de 16 à 18 ans…

Pour la justice, est-ce difficile de prouver que des insultes ou des moqueries puissent provoquer un suicide ? 
En droit, tout est déterminé par le lien de causalité. Ici, entre les agissements et la mort.   Malheureusement pour les victimes, caractériser ce lien de causalité est délicat. On bascule alors dans ce que les latinistes appellent la preuve diabolique ( probatio diabolica ) : concept juridique et logique consistant en une preuve très difficile voire inaccessible. 

Ça peut sembler décourageant pour les victimes…
Le découragement ne doit pas gagner ! La preuve n’est pas non plus impossible à apporter. La Justice se basera inévitablement sur le contexte, les différents signalements effectués, l’éventuel échec scolaire ou encore les troubles alimentaires mortifères ( boulimie, anorexie )…

Les parents des harceleurs,  les professeurs ou la direction de l’école peuvent-ils être inquiétés ?
Distinguons le civil du pénal. Si les sanctions pénales sont réservées aux auteurs, les sanctions financières peuvent être beaucoup plus larges pour les représentants légaux. Si les éléments de l’enquête ne permettent pas d’engager une responsabilité de la communauté éducative, celle-ci s’expose, de manière générale, à des poursuites, entre autres pour non-assistance à personne en danger ou négligence dans le suivi du protocole et la mise en place de mesures assurant la sûreté des enfants.

Le harcèlement scolaire est en plein cœur de l’actualité. Comment expliquer ce phénomène ?
Le harcèlement scolaire est plus visible aujourd’hui, mais il existait auparavant. 

Les réseaux sociaux ont contribué à aggraver ce phénomène ?
Les réseaux sociaux sont un démultiplicateur anxiogène qui ne laisse aucun répit aux enfants victimes de harcèlement scolaire. Souvent, les victimes se découragent d’en faire état pensant que les auteurs ne pourront pas être identifiés. C’est    faux. Des investigations permettront de retrouver les personnes qui se cachent derrière leur ordinateur. 

Quels   conseils donneriez-vous aux enfants harcelés, et quelles démarches doivent-ils entreprendre ?
Mon principal conseil aux victimes de harcèlement : parlez-en,  libérez-vous ! N’ayez peur de rien !  Ce sont les paroles de la maman du petit Lucas, qui a tenu à passer un message à tous les enfants victimes de harcèlement scolaire. Je rajouterai à cela qu’il ne faut pas s’isoler. Il est temps que la honte change de camp. Aucun enfant ne doit considérer qu’il est la cause du harcèlement qu’il subit. Les enfants harcelés doivent échanger avec les adultes dignes de confiance, les alerter, prendre conseils auprès d’eux, avertir le professeur préféré, le CPE, le chef de l’établissement, le psychologue… Il faut aussi contacter les numéros verts nationaux : 3020 et 3018. 

Et les parents des victimes, que doivent-ils faire quand ils apprennent que leur enfant est harcelé à l’école ?
Les paroles s’envolent, les écrits restent. Il faut écrire à l’établissement scolaire de l’enfant et au rectorat académique pour signaler les faits. Le dialogue entre les parents de victimes et d’auteurs peut aussi rétablir une certaine harmonie, parce que dans la majorité des cas, les parents des harceleurs ne sont pas au courant des faits et actes de leurs enfants. Il est temps qu’ils interviennent.  

Et d’un point de vue juridique, que faut-il faire ?
Juridiquement parlant, il est possible de déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie. 

Et si le commissariat ou la gendarmerie ne prennent pas la plainte, ce qui arrive parfois ?
Vous pouvez également écrire directement au Procureur de la République du lieu de votre résidence pour dénoncer les faits.

En tant qu’avocate pénaliste, vous êtes susceptible de défendre des enfants qui pratiquent le harcèlement. On a envie de savoir : que feriez-vous dans un pareil cas ?
Ma priorité serait l’examen minutieux de la procédure pour m’assurer que tous les éléments sont présents pour asseoir la culpabilité de mon client ou son innocence. Je m’attacherai ensuite à dialoguer avec lui de façon constructive pour étayer sa défense. S’il admet les faits, je m’attacherai à expliquer au tribunal les raisons de son cheminement, sans le cautionner. En effet, la défense d’un mineur pour des faits commis à l’encontre d’un autre mineur est tout en nuances. C’est abominable d’avoir à choisir entre deux innocences, et d’avoir pour ennemis les rires de l’enfance, comme le chantait si bien Barbara dans Perlimpinpin, voici tout juste 50 ans.

C’est difficile en tant qu’avocat de défendre ce genre de clients ? 
Il n’en est pas de faciles, il n’en est que de fragiles. C’est ce qui fait l’honneur, la dignité et l’essence de la très belle profession d’avocat que j’exerce depuis 15 ans. 

Pour terminer, quelles mesures prôneriez-vous ?
Prévention et action sont les maîtres-mots. Dès les premiers signaux, il faut que le corps enseignant réagisse très rapidement en convoquant les différents protagonistes, leurs parents,  tout en mettant en sécurité la personne harcelée… 

Maître Sandrine Pégand, avocate pénaliste