Congo, football, surpoids : les confidences de Gauthier Mvumbi, « Baby Shaq » du handball
Une médiatisation de star mondiale mais la carrière d’un très bon sportif amateur. C’est le grand écart permanent du handballeur franco-congolais Gauthier Mvumbi, impressionnant sur et en dehors des terrains. Surnommé « El Gigante » (le géant) puis « Baby Shaq », référence à la légende du basket Shaquille O’Neal, Gauthier Mvumbi se confie sur sa trajectoire hors normes.
Thibaud Vézirian : Gauthier, tu joues pivot, mesure 1m96 pour 147 kilos. Ça fait le bonheur de ton club de handball, à Rouen (3e division). Tu as toujours été grand et fort ?
Gauthier Mvumbi : Toujours ! Quand j’étais plus jeune, je faisais du foot, un peu comme tout le monde. J’avais déjà des prédispositions physiques. Mon père n’était pas très chaud, parce qu’il fallait avoir beaucoup de temps pour me suivre, m’amener aux matchs, aux entraînements. Je devais aller en centre de formation à Châteauroux. Je suis de Dreux et je n’y ai pas été, personne ne pouvait m’amener. Ça a été dur à digérer.
Cela t’a finalement fait prendre le chemin du handball. Avec réussite…
J’ai arrêté complètement le foot et par la suite, j’ai fait l’UNSS au collège : c’est là que je me suis mis au handball. J’aurais pu faire du basket ou du volley. J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie d’avoir des facultés pour les sports collectifs. Avec le même plaisir. C’est tombé sur le hand. Ça aurait pu être un autre sport.
Ton physique atypique a été un atout ou plutôt quelque chose de difficile à vivre ? On dénonce souvent la grossophobie ambiante, tu en as été victime ?
J’ai eu la chance et la capacité de grandir en quartier : si tu n’es pas fort mentalement, ça te mange facilement l’esprit. Et puis, c’était différent à l’époque, il y avait moins de costauds ou de gros qu’aujourd’hui. Je ne l’ai donc pas mal vécu. J’en ai fait une force. Très tôt, j’ai eu un mental de sportif, je suis un gars de compétition. Je n’aime pas perdre ! Quand je regarde « The Last Dance », la série sur Michael Jordan, je comprends son état d’esprit tout de suite. Je suis très fair-play mais ne me cherche pas trop, sinon tu vas me trouver. Un peu en mode Kobe Bryant, aussi.
Sur les terrains, pas de « trash-talk » envers toi ? Personne ne se moque pour essayer de te faire sortir de ton match ?
J’inspire plutôt la crainte (il sourit). Donc peu d’adversaires osent me titiller. Je réponds toujours sur le terrain. Avec le sourire. Mais aujourd’hui, j’ai bientôt 30 ans, je ne suis plus le jeune de l’équipe. J’ai changé de posture, on m’appelle « l’ancien ». Ça m’a d’ailleurs fait un peu bizarre au début…
En janvier 2021, tu participes avec le Congo à la Coupe du monde, en Égypte. C’est là que tu exploses aux yeux du monde entier. Tes performances marquent les esprits. De telles éloges dans les médias, l’intérêt de Shaquille O’Neal, ce surnom « Baby Shaq », qu’est-ce que ça fait ?
Ça me plait le surnom de « Baby Shaq du handball ». Avant c’était « El Gigante », donné par des Argentins. Je suis entré en contact avec Shaq pendant la Coupe du monde. Une expérience incroyable, en tant que fan de basket, de rencontrer ce mec, aussi simple, aussi abordable. Premier match face à l’Argentine, je rentre à l’hôtel, mon téléphone n’arrête pas de sonner. Le soir, une page Instagram, « Overtime », relaye une vidéo de moi. Ça arrive aux oreilles de Shaquille O’Neal. Et là, il m’envoie une vidéo personnelle ! J’ai embrayé, sans tout comprendre à ses mots d’anglais (rires).
Parler à Shaquille O’Neal en direct sans trop maîtriser l’anglais, c’est possible ?
J’ai reçu son numéro. Mais j’ai douté que ce soit lui jusqu’à ce qu’il décroche. J’ai mis deux jours à l’appeler, je n’y croyais pas… Je ne triche pas, je suis naturel, ça lui a plu. Comme j’étais ambassadeur de l’équipe de handball de Detroit puis en déplacement aux USA rencontrer le club de New York, j’ai envoyé un message à Shaq. Il était dans le Texas, à l’autre bout du pays. Il est venu un dimanche, dans un petit bar. Je me suis dit : cette silhouette, ce crâne rasé, est-ce vraiment lui ? Il était assis, il s’est levé. C’est quelqu’un de très respectueux. On a échangé, il m’a donné sa veste, bien trop grande pour moi ! Je lui ai dit : je t’attends en France l’été prochain, voir ma famille. Il est venu ! On a déjeuné ensemble à son hôtel, avec mon frère. Il veut mettre pas mal de projets en place pour moi, je suis un peu son poulain.
Avec un tel succès, pourquoi ne pas avoir réussi à évoluer en première division française ?
Avec 30 kilos de moins, j’aurais pu jouer en première division. Le système handball est ce qu’il est : il faut rentrer dans des cases. Quand j’étais en centre de formation à Créteil, je devais déjà être dans les bonnes cases. Je n’y suis pas et je n’ai rien fait pour y rentrer. Même si j’ai reçu plein de propositions de clubs à l’étranger. Bien manger, ça s’apprend aussi, choisir les bons aliments, etc. On ne nous montre pas comment faire quand on est plus jeune. Aujourd’hui, j’estime que je dois perdre un peu de poids pour ma santé, même si ma santé va très bien. Nikola Karabatic (PSG), qui est pour moi le GOAT, le plus grand joueur de handball de l’histoire, a fondu avec l’âge. C’est utile pour un sportif. Même LeBron James (Los Angeles Lakers) l’a fait, changer de morphologie pour durer. Je suis très motivé, quitte à faire un partenariat là-dessus. J’ai besoin d’objectifs pour avancer.
Est-ce désormais un défi compliqué de perdre du poids ?
À Créteil, j’avais 18 ans, je pesais environ 120 kilos. Il y a plus de dix ans. Mais comme ça n’a pas été simple de gérer mon départ de là-bas, j’ai compensé par la bouffe. Je ne suis pas le meilleur pour faire ressortir mes émotions. Est-ce un défi de perdre du poids ? Oui et non. La vie de sportif est différente de la vie normale. On s’entraine plus, on voyage plus. Il faut une vraie hygiène de vie. Moi, ça a fonctionné comme ça, avec mon physique. Mais le jeune qui est en embonpoint, qui peine à perdre du poids, je lui conseille de faire ce que son corps lui dit de faire. Ton corps t’envoie des signaux, à toi de t’y fier. Un Victor Wembanyama (joueur des San Antonio Spurs en NBA), il a été préparé très tôt à devenir le meilleur du monde, avec tout ce qu’il faut autour de lui. Comme Kylian Mbappé. Et c’est pour ça aussi qu’ils réussissent. C’est primordial. Ma fierté, c’est d’avoir fait une Coupe du monde. Certains joueurs de première division n’ont jamais participé à un tel tournoi.
Tu es le seul joueur de 3e division à avoir des sponsors et partenaires, comment tu le vis ? C’est quoi la suite ?
J’ai des contrats de sponsoring à mon échelle : chaussures, appareils médicaux, etc. Mais c’est vrai que personne n’en possède à mon niveau. Je le vis de la manière la plus simple possible. Si je peux aider les copains, je les aide. Je sais tout ce que j’ai et ce je peux redonner aux autres. J’ai un profil qui séduit les marques, j’ai le sourire, je vis pleinement, je suis authentique. Mais j’ai toujours signé des contrats sportifs d’un an. Donc bientôt, j’entamerai une formation de moniteur d’auto-école. Si je deviens consultant ou commentateur, ce serait un immense plaisir, mais il faut toujours avoir d’autres options pour l’après-carrière.
Qu’est-ce qui restera comme ta plus forte émotion sportive ?
La qualification pour le Mondial 2021. On est en Tunisie, on devait gagner face au Cap Vert, on perd en prolongations. Le match d’après, il est programmé à 8h du matin. On jouait à une heure de l’hôtel, il a fallu se réveiller à 5h. Et malgré tout, on s’est qualifié contre le Gabon ! Au Mondial, ensuite, je reçois deux titres de MVP (meilleur joueur du match). La seconde fois, on perd pourtant le match de -20 et je reçois quand même ce titre. Énorme. De base, le Congo n’est pas spécialement reconnu sportivement. Grâce à moi, on peut parler du handball au Congo. Ça m’a permis aussi de discuter avec de grands sportifs comme Chancel Mbemba (OM) ou Cédric Bakambu, ex-joueur de Marseille, internationaux congolais en football. J’aime beaucoup échanger, je viens du monde amateur même si j’ai eu les pieds dans le monde pro.