FAITS DIVERS – Delphine Jubillar, Émile, Lina… Pourquoi autant de disparitions chaque année en France?
Le petit Émile, la jeune Lina, Delphine Jubillar… Ces dernières années, les affaires de disparition se multiplient en France. Pourquoi ce phénomène ? Comment les services de police et l’État traitent-ils le problème ? Bernard Valézy, président de l’association Assistance et Recherche des Personnes Disparues, répond à nos questions…
Entrevue : On a le sentiment que les affaires de disparition sont de plus en plus nombreuses. Vous confirmez cela ?
Bernard Valézy : Quand on parle de disparition, il faut d’emblée distinguer celles concernant les personnes mineures de celles des majeures. Pour les premières, nous disposons de données fiables, fournies chaque année par le ministère de l’Intérieur, pour la simple raison qu’une disparition de mineurs est automatiquement considérée par les services de police comme une disparition inquiétante, et donc, comptabilisée dans les chiffres officiels du ministère. Depuis les années 2000, on remarque que les disparitions de mineurs sont en augmentation constante. On comptabilise 43 202 disparitions de mineurs rien sur l’année 2022 dans toute la France.
Concernant les disparitions de personnes majeures, quels sont les derniers chiffres ?
Le dernier chiffre connu par l’ARPD concernant les disparitions inquiétantes de personnes majeures date de 2020, il était alors de 12 391. Nous estimons à environ 5 000 le nombre de disparitions qui ne seraient pas comptabilisées chaque année, puisqu’elles ne sont pas considérées comme «inquiétantes» par les pouvoirs publics.
Qu’est-ce qu’une disparition « inquiétante »?
Les disparitions jugées «inquiétantes» par les services de police dépendent entièrement des circonstances autour de celle-ci. C’est très aléatoire ! La disparition sera jugée inquiétante par l’officier de police selon la manière dont la famille présentera et arrivera à convaincre celui-ci du caractère anormal de cette dernière. Dans certains cas, on demande aux proches d’attendre, de revenir faire une déposition dans plusieurs jours, suivant l’évolution de la situation. Si le caractère inquiétant n’est pas reconnu, la disparition n’est pas enregistrée et aucune enquête de police n’est alors ouverte.
Comment s’explique la hausse des disparitions ?
Ce que l’on sait, concernant les majeurs, c’est qu’il y a une évolution des disparitions en lien avec la maladie d’Alzheimer qui s’explique par une hausse du nombre de malades, essentiellement lié au vieillissement de la population et à l’augmentation du nombre des plus de 65 ans. Concernant les mineurs, il est évident que l’avènement des réseaux sociaux a une grande influence sur les comportements et le quotidien de nos jeunes. Il est aujourd’hui urgent de mettre en place une véritable politique de prévention autour de ces deux points.
Y a-t-il un profil type des personnes disparues ?
Non. Tout le monde, toutes les classes sociales et tous les sexes sont touchés de manière égale. Cependant, on peut retrouver des causes similaires, notamment chez les mineurs, où 95 % des disparitions sont une fugue.
Quelles sont les principales causes identifiées ?
On retrouve huit grandes catégories expliquant une disparition : les fugues, les départs volontaires réfléchis suite à un problème familial ou de menaces, la fuite, le décès (qu’il soit dû à un homicide, un suicide ou un accident non dépisté comme c’est le cas lors d’un accident de randonnée par exemple) les maladies, comme Alzheimer, la perte, lorsqu’un individu s’égare et se retrouve durant un temps indéfini errant, les dérives sectaires, qui peuvent amener à détourner un individu, ainsi que la cause criminelle (homicide, enlèvement, séquestration).
Si un proche disparaît, que faut-il faire ?
Pour les mineurs, il faut agir très rapidement. Les services de police traiteront automatiquement cela comme une disparition inquiétante et l’enquête sera immédiatement ouverte. Le temps est alors compté. Plus le temps passe, plus les chances de retrouver le mineur diminue. Pour les personnes majeures, cela dépendra de votre capacité à faire admettre aux policiers et aux gendarmes qu’il s’agit là d’une disparition inquiétante. Il faut, à ce moment, mettre en avant l’ensemble des éléments dont vous disposez et qui prouvent le caractère urgent et anormal de l’affaire.
Et que faire si les services de police refusent d’ouvrir une enquête ?
Si vous vous retrouvez face à cette situation, vous avez la possibilité d’écrire directement au procureur de la République en lui exposant la situation et en demandant l’ouverture d’une enquête pour disparition inquiétante. Celui-ci a ensuite le pouvoir, quand bien même les officiers auraient refusé de le faire précédemment, de saisir les services officiels et d’ordonner l’ouverture d’une enquête. C’est l’un des recours possibles. Mais, lorsque la situation apparaît sans issue pour les proches, c’est à ce moment-là qu’ils se tournent vers des associations comme la nôtre…
C’est lorsque la voie officielle est bloquée que l’ARPD prend le relais…
Effectivement, une partie des affaires dont nous sommes saisies est de cet ordre, mais nous travaillons également sur des dossiers en parallèle des enquêtes officielles. Il nous arrive d’obtenir des informations sur certaines affaires et, dans ce cas, nous transmettons nos données aux services d’enquête.
Concrètement, comment aidez-vous les familles ?
La grande majorité des affaires dont nous nous occupons provient de notre site internet. Il peut s’agir d’affaires récentes, mais aussi de disparitions datant de 30 ans ! Nous sommes plus de 600 bénévoles présents sur l’ensemble du territoire. Nous travaillons dans toutes les régions, DOM-TOM compris. Une fois un formulaire de contact reçu, nous désignons deux ou trois enquêteurs qui prennent alors contact avec la famille afin de réunir différentes pièces, à la fois pour l’avancée de l’enquête, mais aussi pour s’assurer du lien de la personne demandeuse avec la personne disparue. Cette étape étant faite, nous demandons simplement aux proches d’adhérer à notre association. L’enquête commence alors pour nos bénévoles.
Quels moyens d’action pourraient être mis en place par l’État pour faciliter les enquêtes et prévenir les cas de disparition ?
L’une des priorités pour nous est la construction d’un véritable programme de prévention, envers les jeunes notamment. Il faut se rendre dans les collèges, les lycées, parler et expliquer à ces âges les conséquences que peuvent avoir une fugue. Ils peuvent rapidement se retrouver confrontés à la délinquance et y participer eux aussi. Nous avons certaines affaires où des jeunes adolescents, filles ou garçons, se sont retrouvés embarqués dans des trafics sexuels, des affaires de stupéfiants ou de délinquance. Il y a une vraie urgence à alerter et informer sur ces points. Nous demandons aussi la création d’un site internet qui centraliserait l’ensemble des avis de disparition. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il est compliqué de saisir la bonne information, au bon moment. Nous portons à ce jour plus de quarante propositions que vous pouvez retrouver en détail sur notre site internet.
Interview réalisée par Solenn Mirarchi