Babette de Rozières: « Pour avoir un poste au gouvernement, il ne faut pas avoir une grande gueule comme moi. Il faut courber l’échine. »
Conseillère régionale d’Île-de-France et chef cuisinière, Babette de Rozières est réputée pour son franc-parler et son combat infatigable pour défendre les Outre-mer, qu’elle estime trop méprisés. Alors qu’elle a organisé le Salon de la Gastronomie des Outre-mer fin janvier à Paris, elle nous livre quelques confidences sur les coulisses du milieu politique et dénonce les graves problèmes dans les DOM-TOM qui peinent à être résolus…
Jérôme Goulon : Tu as le sentiment que les Outre-mer sont trop souvent des laissés-pour-compte?
Babette de Rozières : Oui, ça fait 45 ans que je me bats pour défendre les Outre-mer. Personne ne parle des Outre-mer, on nous méprise. Est-ce que tu trouves normal qu’en moins d’un an, il y ait quatre ministres qui soient passés au ministère des Outre-mer ? Sébastien Lecornu, Yaël Braun-Pivet, Élisabeth Borne puis Gérald Darmanin et son ministre délégué, un nullard, Philippe Vigier. Tu as déjà vu ça, toi, autant de turn-over en si peu de temps sur un ministère ?
Le ministère des Outre-mer est un placard doré selon toi ?
Bien sûr. C’est même pire que ça. On nous considère comme des moins-que-rien ! On n’existe pas. Quand il y a une catastrophe, un cyclone, des faits divers, on ne parle jamais de nous. Même pendant le Covid, il a fallu que je passe un coup de gueule pour dénoncer certaines choses, comme la livraison aux Outre-mer de masques moisis. Nous sommes méprisés.
Tu as des mots assez durs sur le ministre délégué des Outre-mer, Philippe Vigier. Pourquoi ?
Dans les Outre-mer, il y a un problème d’eau, qui n’est pas potable. On n’a pas d’eau ! Les robinets sont fermés presque un jour sur deux. Tu sais ce que le ministre a proposé comme solution ? Il a dit qu’on n’avait qu’à prendre l’eau du robinet, la faire chauffer, la mettre au réfrigérateur puis la boire ensuite. Voilà sa réponse au problème de l’eau non potable dans les Outre-mer.
Philippe Vigier est le ministre délégué des Outre-mer, mais le ministre, c’est Gérald Darmanin. Qu’aurais-tu envie de lui dire ?
Il faut arrêter de considérer les Ultramarins comme des sous-hommes ! Les habitants des Outre-mer sont des Français à part entière ! Grâce à la diversité des Outre-mer, la France est deuxième sur le plan maritime.
Et toi, tu n’as jamais pensé devenir ministre des Outre-mer ?
Le milieu politique est très dur. J’ai été plombée, notamment par Sébastien Lecornu, l’ex-ministre des Outre-mer et actuel ministre des Armées. Un jour, il m’appelle et me dit qu’il a besoin de me voir. Il était en pleines tractations pour débaucher les Républicains. Il avait besoin des LR pour que les gens votent à la présidentielle pour Macron. Il m’a demandé une mission, car je suis la seule à dénoncer les problèmes en Outre-mer. Mais à partir du moment où je me suis rebiffée et que j’ai refusé de rejoindre le parti de Macron, on m’a savonné la planche.
Que s’est-il passé ?
J’ai entendu plein de choses dans mon dos. Le problème, c’est que je ne suis pas assez lisse. Je dis les choses comme je le pense, donc ça ne plaît pas. Or, pour avoir un poste au gouvernement, il ne faut pas avoir une grande gueule comme moi. Il faut courber l’échine et se taire. Mais moi, je dis ce que je pense ! J’ai même refusé la Légion d’honneur en 2013, car je considérais que les Outre-mer étaient méprisés. Ce n’est pas avec un hochet qu’on va m’acheter ! Si je ne m’étais pas rebiffée, c’est sûr qu’ils m’auraient donné quelque chose…
Et si on t’avait proposé de devenir ministre des Outre-mer, tu aurais accepté ?
J’aurais accepté ! Je connais très bien les Outre-mer, à la différence des ministres qui sont nommés par complaisance politique et qui viennent comme des touristes, pour faire joli, pour avoir un titre et un rond de serviette.
Parlons concrètement. Quelles mesures prendrais-tu si tu étais ministre des Outre-mer?
Je commencerai par m’occuper des problèmes les plus graves, à commencer par celui de l’eau potable. Est-ce qu’il est possible de vivre sans eau ? Non ! Ensuite, je m’occuperai du chômage des jeunes, les jeunes ne font rien. Et puis il y a la pollution.
C’est-à-dire ?
Il y a le problème des sargasses, qui sont des algues toxique. C’est en train de pourrir la Guadeloupe, et personne ne fait rien. Et puis il y a aussi le danger causé par le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies. Tous les gens sont touchés, la terre est contaminée pour des milliers d’années. On doit faire des cultures hors-sol, et personne ne dit rien. Les gens n’ont pas été indemnisés.
Le gouvernement a pourtant bien conscience de ces problèmes de santé publique, non ?
On prend les gens pour des idiots en disant que le problème a été réglé, mais 90% de la population est contaminée. De nombreux hommes souffrent d’un cancer de la prostate dans les Outre-mer à cause du chlordécone ! Des bébés naissent avec des traces de chlordécone dans leur sang. Les mamans ne peuvent pas allaiter leur bébé, car il y a du chlordécone dans leur lait ! Le poisson aussi est contaminé, on est obligé d’en faire venir de partout.
Autre sujet. Tu as sorti un livre sur la face cachée de la politique en Île-de-France… Que dénonces-tu ?
Si je me suis portée candidate aux élections régionales en 2017, en soutenant Valérie Pécresse, c’est parce que je pensais que ça me donnerait une légitimité supplémentaire pour défendre les Outre-mer. La politique, c’est un don de soi. On doit faire de la politique pour servir les autres et être utile, pas pour avoir un strapontin ou un rond de serviette. Or, je me suis rendu compte que la réalité est tout autre. Avant d’être élue, on m’a fait de grandes promesses. Mais une fois au conseil régional d’Île-de-France, on a commencé à me donner des éléments de langage, à vouloir m’imposer ce qu’on pouvait dire et ne pas dire. Et avec ma personnalité, c’est compliqué ! Quand tu vois les petites magouilles et arrangements entre amis, avec des distributions de postes en fonction de différents intérêts et des voix que ça peut apporter… On n’a pas le droit de revendiquer quoi que ce soit…
Tu t’es réconciliée avec Valérie Pécresse ?
Non. Quand je vais aux toilettes, je tire la chasse et je ne regarde pas ce qu’il y a dans la cuvette…
Tu es rancunière ?
Quand je tourne la page, c’est terminé. Je ne suis pas rancunière, mais je n’oublie pas, et je trace un coup de crayon sur les gens qui m’embêtent…
Un mot de la fin ?
Ça fait 45 ans que je soutiens les Outre-mer. J’espère le meilleur pour les Outre-mer, et qu’un jour, un président de la République prendra les problèmes à bras le corps. Je ne suis partie de rien, et grâce à ma persévérance et à mon travail, j’ai réussi à faire entrer la cuisine créole à l’Hôtel de la Marine. Depuis le 31 octobre, j’y donne des cours de cuisine tous les mercredis de 14h à 17h. C’est la première école qui dispense la cuisine créole dans un tel établissement. et j’invite tout le monde à venir !