Déménager l’âme du Centre Pompidou

Déménager l’âme du Centre Pompidou

C’est une scène que les visiteurs ne verront jamais. Dans un silence presque religieux, entre les murs du Centre Pompidou, quelques conservateurs s’affairent autour de ce que l’on pourrait appeler l’un des cœurs battants du musée : le « Mur André Breton ». Cet assemblage d’objets surréalistes, de masques, de tableaux, de racines, de pierres, d’animaux figés dans des boîtes, avait été recomposé ici, dans le temple de l’art moderne et contemporain, après avoir longtemps habité l’appartement de l’écrivain rue Fontaine. Aujourd’hui, il faut l’enlever, pièce par pièce. Trois semaines pour démonter un seul mur : pas un luxe, une nécessité.

La poussière, d’abord. Elle est chassée à coups de pinceaux minuscules. Puis viennent les observations, les constats, les premiers gestes de soin. Rien n’est improvisé. Chaque statuette, chaque éclat de matière, chaque fragment de rêve doit être regardé, compris, consigné, puis empaqueté. Le tout, sans dénaturer l’ensemble. Car le mur, cette œuvre de mémoire et de chaos organisé, voyagera à travers plusieurs musées pendant la fermeture du Centre Pompidou. Il faudra qu’il reste lisible, intègre, intact dans sa folie.

Autour de ces objets, un ballet de femmes. Restauratrices pour la plupart, spécialistes du fragile. Camille Alembik, penchée sur une couronne des îles Marquises, inspecte la fibre végétale et les centaines de dents de dauphin qui la composent. Certaines pendeloques ont cédé. Il faut les rattacher, les recoudre au fil invisible. Pas question de laisser la matière se dissocier, ni d’attendre l’arrivée sur site pour constater les dégâts. Tout est anticipé. Chaque geste est fait pour éviter que le voyage n’abîme ce que le temps, jusqu’ici, avait épargné.

Le mur d’André Breton n’est qu’un exemple parmi des milliers. C’est tout un musée qu’il faut vider. Cinq années de fermeture, annoncées pour permettre la réhabilitation complète du bâtiment imaginé par Renzo Piano et Richard Rogers. Ce monstre joyeux de verre et d’acier, avec ses escalators extérieurs et ses tuyaux multicolores, est devenu une icône du quartier de Beaubourg depuis son inauguration en 1977. Il est aussi le réceptacle d’une des plus importantes collections d’art moderne et contemporain d’Europe. C’est tout cela qu’il faut maintenant faire voyager, protéger, documenter.

Le Centre Pompidou vivra ailleurs pendant les travaux, notamment à Massy, où s’ouvrira un nouveau site francilien. D’ici là, chaque œuvre aura son carnet de santé, son histoire mise à jour, ses précautions renforcées. À chaque étape du déménagement, un nouveau constat sera établi. Il faudra surveiller les craquelures, les infestations possibles, les réactions imprévisibles des matériaux anciens.

Certaines expositions temporaires tiendront jusqu’à l’été, parfois jusqu’à septembre. Mais petit à petit, les salles ferment, les visiteurs désertent, les œuvres s’en vont. Elles rejoindront d’autres musées, en France et à l’international. Réouverture dans 5 ans…

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