Un carnet de voyage inédit de Jean Giono, retrouvé après 80 ans, est enfin publié

04 octobre, 2024 / Alice Leroy

Un trésor littéraire, longtemps perdu, refait surface. Un carnet de voyage inédit de Jean Giono, célèbre écrivain provençal, a été publié ce jeudi 3 octobre 2024 aux éditions des Busclats, après avoir dormi pendant plus de huit décennies dans les archives judiciaires françaises. Ce document exceptionnel, intitulé Voyage à pied dans la Haute-Drôme, raconte un périple effectué par Giono en juillet 1939, quelques mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Le texte, qui témoigne de la richesse du processus créatif de l’auteur, a été retrouvé par hasard dans un fonds de documents judiciaires liés à l’Occupation.

Une découverte fortuite

C’est en faisant des recherches pour un mémoire consacré à la section spéciale de la cour d’appel de Paris, une juridiction d’exception mise en place durant l’Occupation nazie, que le chercheur en histoire Antoine Crovella a mis la main sur ce précieux carnet. Le texte, conservé aux Archives nationales, s’était égaré dans les méandres de la bureaucratie et avait échappé à l’attention des spécialistes de Giono pendant des décennies. Ce carnet de notes manuscrites, rédigé dans un simple cahier d’écolier, relate avec force détails et réflexions le voyage pédestre de Giono à travers la région de la Haute-Drôme, un périple qui servira de base à son roman Les grands chemins, publié bien plus tard, en 1951.

Un témoignage unique sur l’écrivain et son époque

Le carnet, daté du 21 au 27 juillet 1939, dévoile les impressions de l’auteur sur les paysages et les habitants de la région, qu’il décrit avec une verve poétique et un regard aiguisé sur le monde rural. Ces notes brutes et authentiques offrent une plongée dans l’intimité de Giono, montrant l’importance de l’immersion dans la nature pour nourrir son imagination. Mais ce carnet ne se limite pas à un simple récit de voyage : il éclaire également sur le contexte historique troublé de l’époque.

L’ultrapacifiste Giono, fervent opposant à l’entrée en guerre de la France, se retrouve en 1941 sous le coup d’une enquête de la juridiction spéciale, suspecté d’entretenir des liens avec des milieux communistes. Son carnet de voyage, utilisé comme preuve de sa non-implication dans une affaire autour d’un groupe communiste supposé en Savoie, ne lui sera jamais restitué par les autorités. Cette page d’histoire éclaire d’un jour nouveau la complexité de ses positions politiques durant cette période.

Un manuscrit controversé

Le carnet dévoile également une facette plus sombre de l’écrivain, avec des passages imprégnés de préjugés de l’époque. L’un d’eux, où il évoque les passagers d’un avion imaginaires – « Madame Grünbaum quelque chose ou Madame Rothschild » –, témoigne de l’antisémitisme ambiant dans les années 1930. Le chercheur Antoine Crovella rappelle que ces lignes reflètent l’ambivalence de Giono, dont la vision antimoderne et conservatrice défendait avant tout une idéologie exaltant les valeurs de la terre contre le progrès et l’internationalisme.

Une œuvre littéraire et politique

Cette redécouverte d’un carnet inédit de Jean Giono permet de saisir toute la complexité de l’écrivain, dont les œuvres oscillaient sans cesse entre la célébration de la nature et le rejet des évolutions sociétales. Voyage à pied dans la Haute-Drôme offre ainsi une réflexion plus profonde sur la condition humaine, enrichie d’un contexte historique bouleversant.